Şerhh fanzinden: Cassis Cotton, “Passe Un Disque” (Tam Metin)

Le passeur arrive à moi comme une idée mais, depuis son passage, on n’arrive plus à me l’ôter des pensées. Je glisse avec lui sur ce qu’il me fait entendre. Pourquoi passer la musique ? comment un animateur de radio, de discothèque ou de bar arrive et puis se place afin de mettre en circulation ce son qu’on ne voit pas ? à la différence du concert, un son qu’on ne voit pas être en train de se faire. Une musique est jouée mais laquelle ? celle du groupe, ou bien celle de l’instrumentiste ? ou bien non, peut-être aucune musique provenant de musiciens, c’est celle d’un DJ qui circule. Celle d’un passeur. Car le DJ est un passeur. Un passeur sans corps. Une ombre. Il vit dans un monde invisible et dans ce monde on tait l’origine de ce que l’on passe. On ne révèle l’identité d’aucun destinataire. La confidence est muette. On se plie dans la joie d’un groupe de musiciens qu’on célèbre. En retour rien. On ne se plaint pas. La voie est libre. On frôle d’autres ombres anonymes, des interlocuteurs silencieux à qui on dédicace cette illusion : « que ma musique s’adresse à toi seul, du moins à toi d’abord ». Ça se déroule sur un trottoir, au bord des pistes ou des tables, à la marge des ondes. On monte à bord des sillons. On compose à partir d’empruntes. Les trouvailles ne sont pas de son invention, le passeur le sait, mais il intervient dans ce monde avec un ressort. Sa bravoure à lui, c’est de faire passer une musique comme si chacun pouvait également faire passer cette musique. Son nom vient de ce paradoxe. Il exerce éloge et critique à la fois, en conduisant une différence qu’il répète encore et encore. Tous ses morceaux sont magnifiques. Chacun d’eux est puissant par la manière dont les sons se combinent entre eux. Mais le passeur compose et critique en embrassant les morceaux qu’il joue. Il n’assoit personne en haut d’une échelle de valeurs, aucun morceau ne domine. Ça circule. On ne juge pas ici. En boucle, il vient toujours un autre rythme, une autre harmonie. Ça se transforme en permanence. Des paroles aberrantes éclatent des accords curieux. Ensuite arrive un deux temps souterrain, une marche obscure augmentée d’un sourire enfantin. De tous les horizons des langues viennent et partent. Aucun code, aucun drame. Le passeur ne fixe pas son attention sur quelque chose en particulier, ce sont les facettes multiples d’un ensemble qui l’animent. Tout en lui se trouve être à l’affût d’une vie quelconque or, ô combien singulière. Etre adroit ne suffit pas. Ici, l’idée de justesse ne touche pas l’oreille mais l’estomac. Les rapports sont dynamiques. Quand rien ne se passe, c’est que c’est mort. Aucun genre ne prédomine. On voyage. On s’évade. On passe des frontières. On passe avec lui quelque part, dans une zone, en douce. Il passe sa musique, nous fait passer par sa musique, passe lui-même au travers de la musique qu’il passe. Le passeur dépasse. Aussi longtemps qu’il peut dire « je suis », il s’efforce de dépasser les passages qu’il emprunte, de dépasser aussi les sillages qu’il nous a fait prendre. Le DJ joue avec de l’espace et du temps, voilà la matière qu’il module. En cela, il conduit. Il nous conduit sur des routes qui sont de vrais territoires. Des zones fixées qui se transforment toujours. Il opère un transfert et manœuvre un convoi, bien plus qu’il ne manipule un budget. Il n’est jamais à son avantage. Il faut imaginer ce passeur à la fois pilote et contrebandier. Il fait passer des tours en secret, des choses dont il taira la plupart du temps l’origine ou l’appartenance. Il ne veut pas savoir non plus l’identité de ceux qu’il fait passer. Les rapports sont soudains, de courtes durées. Il fait et sait faire passer ses objets parce qu’il aime ça. Plus encore, c’est là toute sa vie. Il passe lui-même en douce. Y compris pour gagner un temps sa vie. Plus il avance et plus il sait par où passer. Pourtant, il semblerait que jamais ne le conduise un même chemin. Jamais, non plus, il ne revient par un lieu ni par un chemin qu’il eut à emprunter auparavant pour atteindre une de ses visées. Il peut revenir en arrière, seulement il passera par autre part. Ça n’importe pas peu pour le passeur. Lui n’habite aucun camp. Non. Il passe en secret de zone en zone, ainsi qu’à l’intérieur des zones. Il ose, enjambe et s’enfonce. Il agit essentiellement pour lui-même or, il lui faut aussi agir parfois dans l’intérêt d’autres individus. Sinon pour les besoins d’autres personnes. D’ailleurs, il compose pour les autres assez souvent. De toute manière, si ce qu’il fait devient un moyen de passage évident pour un entourage autour lui, son existence devient jour après jour le dispositif essentiel qui lui permettra de faire passer ce qu’il désire faire passer. Car il s’agit bien de ses propres tours. Ce qu’il passe, ce n’est que son truc à lui. Truc qu’il gardera secret pour sa plus grande joie, mais aussi pour réussir à vivre en bordure du plus de frontières possibles et imaginables. Dans l’intérêt de les franchir. Ou bien de continuer à les border. Autour de lui, les territoires glissent. Des paquets, des tas, des piles. Lui reste plutôt immobile, à la manière d’un double qui l’observe en silence, un double qui réagit aussi. Cet autre n’est pas son double identique. Il a de l’effet sur lui, ce qui cause ses fuites. Il avance en permanence, ainsi, avec légèreté. Peut-être se sent-il fort ainsi ? parfois, il aime suivre un chemin, quelqu’un d’autre que lui sur un sentier. Un autre instant, c’est lui qui acceptera d’être suivi. Encore une autre fois, il s’en ira seul. Mais attention : on ne parle pas ici d’une personne en ballade ou en vadrouille. L’image donne à voir quelque chose au travers de ce qu’on tente de dire. Notre passeur n’est pas un nomade. Sauf en lui. Dans sa tête. Il avance sur place. Il avance à l’endroit même dont il est question : il plagie les guides et vole auprès des explorateurs mais il escroque aussi, il détrousse à la manière des touristes. A la fois il compose un voyage à partir duquel, on cherchera souvent à voyager, souvent après l’avoir entendu ; à la fois lui-même voyage avec connaissance ou bien sans, empruntant des routes inconnues ou connues, qu’il pille sur son passage ; à la fois son foisonnement renverse cause et effet, permettant ainsi à la dérive de venir le mettre en danger, lui permettant ainsi de se déplacer mais aussi, de nous déplacer les uns à côté des autres

Passe un disque, Cassis Cotton, 2013